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10/02/2023 - Paris, Festival Présences, Philharmonie - Orchestre Philharmonique de Radio France, Kent Nagano (direction)
Orchestrer Bach en 2022 ? Et, qui plus est, passer après Webern ? La sollicitation qui m'a été faite d'orchestrer à nouveau le Ricercare a 6 de L'Offrande musicale pour l'orchestre Philharmonique de Radio France a tout d'une entreprise audacieuse, voire téméraire. Plusieurs décennies de recherche sur la musique du XVIIIe siècle ont extirpé une oeuvre comme ce Ricercare de son enclos idéal de pure musique, abstraite de toute incarnation instrumentale, organisme spéculatif clos sur lui-même, et de ce fait ouvert à toutes les interprétations. On peut y entendre aujourd'hui une oeuvre fortement marquée par l'empreinte du clavier et des ambiguïtés polyphoniques qu'il peut créer, un thème principal fait d'archétypes culturels profondément signifiants, une forme dont l'aspect fugué semble presque un pré-texte à une construction extrêmement singulière. De multiples modèles d'écriture s'y croisent sans s'annuler : vocalité de la polyphonie ancienne, traces de la sonate en trio italienne, de l'écriture en « consorts » dialoguant en blocs, voire du nouveau « style galant », jeux d'échanges et miroirs multiples du contrepoint dit « renversable », ponctuations rhétoriques charpentant l'édifice, formules pédagogiques de basse continue poussées à leur plus haut degré d'expressivité et de densité... : autant de considérations aptes à nourrir aujourd'hui un imaginaire créatif, sans rien de muséal pourtant. Cette hybridité d'une extraordinaire richesse peut ainsi être dévoilée par un orchestre qui tour à tour différencie, regroupe, fragmente, multiplie, équilibre ou dissocie, à partir de la stricte lettre du texte musical de Bach.
La présentation originale des 6 voix de l'oeuvre de Bach, sur 6 portées, sans aucune indication de phrasé, a fortement conditionné la compréhension de cette oeuvre aux XIXe et XXe siècles, permettant à chaque époque de lire ces lignes selon ses propres codes d'interprétation. Ainsi, Webern, fidèle à ses habitudes, surcharge-t-il sa partition d'indications expressives contribuant à la fragmentation des lignes, pour mieux révéler leurs parentés motiviques. Notre rapport à la notation de la musique de Bach a, là aussi, profondément évolué avec les décennies, au fil de l'étude des traités, des instruments anciens, des principes d'articulation, de la rhétorique. Loin d'être abstraites, ces lignes nous apparaissent donc aujourd'hui comme nourries de multiples pratiques d'interprétation, dont nos signes habituels de phrasé et d'articulation ne peuvent rendre compte que de manière très imparfaite, voire caricaturale. Les ajouts faits ici à la notation originale, qui figure en bas de chaque page, n'ont donc pas pour but de revenir aux « partitions annotées » du XXe siècle, mais peuvent guider dans la direction d'un phrasé conduit, vivant et diversifié, au croisement des modèles vocaux et instrumentaux qui innervent l'écriture de ce Ricercare.
Thomas Lacôte
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