Écouter
un extrait
Florent Jodelet (percussion)
Alexandra Greffin-Klein (violon)
Maude Gratton (clavecin)
Cyril Dupuy (cymbalum)
Orchestre de Caen, Vahan Mardirossian (direction)
Retrouvez ici tous les audios, vidéos et autres documents (accompagnements, manuel du professeur, etc.) en téléchargement.
ConnexionCANAT de CHIZY Edith : 1. Trance - 2. Dance - 3. Seascape - 4. Tlaloc
Nouveau jalon dans la discographie
d'Edith Canat de Chizy
[...] Un fil rouge parcourt toutes les oeuvres figurant sur ce disque : la percussion se taille une place de choix dans chacune d'elles.
Dans Trance (2009), pour percussion et clavecin, Edith Canat de Chizy joue avec l'ambivalence du clavecin dont elle exploite les propriétés percussives autant que les vertus mélodiques et les résonnances, comme l'ont fait avant elle les divers compositeurs ayant réhabilité l'instrument au cours des sept dernières décennies.
Dance (2006), pour violon et vibraphone, est un hommage au sculpteur Antoine Bourdelle et à l'un des bas-reliefs dont il est l'auteur, qui coiffe l'une des portes du Théâtre des Champs-Elysées à Paris et qui met en scène la danseuse américaine Isadora Duncan et le danseur et chorégraphe russe Vaslav Nijinski. Edith Canat de Chizy met ici à profit sa formation de violoniste, en se gardant soigneusement d'accoucher d'une musique figurative pour ballerine et danseur-étoile. Ne sont-ce pas plutôt les ombres vacillantes des deux danseurs figés dans la pierre que cherche à évoquer la compositrice dans cette œuvre sans pas de danse ?
François-Bernard Mâche voit, à juste titre, dans Seascape (2015-2016), pour orchestre et percussion, l'oeuvre de ce programme qui évoque le plus étroitement Debussy ou Ohana, tout en accusant une familiarité avec l'univers électroacoustique. Dans cette véritable étude de timbres, la compositrice s'emploie à varier à l'envi les modes de jeu, favorisant ainsi l'émergence d'un monde d'harmoniques fantasmé, Atlantide désertée par les flots : usage de tiges métalliques sur les cordes du piano, instruments à cordes jouant col legno, blocage des cordes,... L'enregistrement présenté sur ce disque n'est autre que celui de la création mondiale de l'oeuvre, qui eut lieu le 16 mars 2016 à l'Auditorium Jean-Pierre Dautel, à Caen.
Clôturant le CD, mais composé bien avant les oeuvres précédentes, Tlaloc (1984), enfin, est l'une des oeuvres majeures d'Edith Canat de Chizy. Pièce soliste pour la percussion, elle recourt toutefois à un instrumentarium relativement étoffé : crotales, bell tree, triangles, cymbale chinoise, cymbale cloutée, cloches de vache, vibraphone, gongs, tam-tams, toms, bongos, tumbas et temple-blocks. Divinité aztèque de la pluie et de l'orage, Tlaloc semble ici vouloir contenir ses larmes et sa fureur, qui ne s'insinuent dans l'oeuvre que comme d'insidieux présages - sinistres pour les uns, fertiles pour les autres.
Ces quatre partitions de haut vol peuvent ici compter sur un ensemble de musiciens admirables, au premier rang desquels s'inscrit le dédicataire de Seascape - soliste de l'Orchestre National de France et musicien attitré de l'ensemble TM+, Florent Jodelet est, à n'en point douter, l'un des grands percussionnistes de sa génération. Il confirme en l'occurrence le statut et la stature qui sont les siens, faisant preuve d'un investissement sans retenue dans les œuvres que voici. Soliste et chambriste confirmée, ancienne pensionnaire du Royal College of Music de Londres et de la Hochschule für Musik de Bâle, Alexandra Greffin-Klein, qui s'est, elle aussi, fait un nom en défendant avec enthousiasme et conviction le répertoire contemporain, l'entraîne dans la Dance avec une grande efficacité. Au clavecin, Maude Gratton, acolyte de Bruno Cocset, Damien Guillon, Pierre Hantaï et Philippe Pierlot et invitée régulière du Collegium Vocale de Gand, a eu plus d'une occasion de se familiariser avec le jeu de Jodelet avec qui elle collabore fréquemment. Elle fait preuve de la même opiniâtreté que celle qu'on aurait attendue, dans ce répertoire, d'une Wanda Landowska. Le cymbalum de Cyril Dupuy, qui a déjà apporté son concours à tant d'autres oeuvres modernes et contemporaines (d'Henri Dutilleux, Gilbert Amy et György Kurtag, notamment), apporte une touche additionnelle d'enchantement au tableau. L'Orchestre de Caen complète ce dernier. Dirigé de main de maître par Vahan Mardirossian - son chef principal invité depuis 2010, par ailleurs pianiste de renom et directeur musical de l'Orchestre National de Chambre d'Arménie -, il vibre comme un seul être dans les paysages énigmatiques esquissés par Edith Canat de Chizy.
Son 10 - Livret 8 - Répertoire 9 - Interprétation 10
Olivier Vrins
www.crescendo-magazine.be
A travers les enregistrements du label qu'il a lancé en 2018, l'excellent Florent Jodelet, ancien élève de Jean-Pierre Drouet, détend et enrichit le répertoire pour percussion. Si Boulez se méfiait, non sans raison, des effets faciles qu'elle permet, cela ne l'a pas empêché d'y recourir abondamment. Rien de gratuit dans l'art d'Edith Canat de Chizy, dont "l'élégance et l'originalité", selon les termes de François-Bernard Mâche, caractérisent ces quatre pièces où la percussion se distingue par sa faculté à ménager les transitions, à insuffler du dynamisme ou à créer des phénomènes météorologiques d'une grande plasticité.
Au reste, la métaphore maritime est explicitement revendiquée par la compositrice, qui manifeste une constante dans l'inspiration (on pense à Drift et à La Ligne d'ombre) tout en perpétuant certains gestes : ainsi des sonorités du wood-block (une signature) dans Seascape ou de cette progression qui oppose à l'interrogation sourde du son séminal l'agitation d'une musique gorgée d'énergie et de mouvements parfois contraires. La fusion du violon vibré d'Alexandra Greffin-Klein et du vibraphone opéré dans Dance, tandis que Trance, où se distingue le clavecin de Maude Gratton, agit comme un hommage, au maître Maurice Ohana, à qui Edith Canat de Chizy a consacré une biographie de référence.
Jérémie Bigorie
Classica (févr. 2020)
Les ressorts de la percussion
Deuxième opus du nouveau label Merci pour les sons lancé en 2018 par Florent Jodelet, ce disque monographique consacré à la musique d'Edith Canat de Chizy fait la part belle à la percussion, à travers quatre pièces jamais encore enregistrées, qui balaient trente deux ans d'activité créatrice.
Stimulant son travail sur la couleur et la résonance, ainsi que sa recherche d'un univers en expansion, la percussion est l'un des instruments de prédilection d'Edith Canat de Chizy. Tlaloc (1984) pour percussion seul, qui donne son titre à l'album, est une des premières oeuvres de son catalogue. C'est le nom donné au dieu de la pluie dans la civilisation aztèque. On y décèle déjà un goût affirmé pour certaines qualités d'instruments : résonance des métaux (cymbale, gong profond, cloches de vache, glockenspiel, crotales), profondeur de la grosse caisse et matité des bois, woodblocks et temple blocks, toujours très actifs dans un espace ménageant d'amples respirations. La palette de couleurs est riche mais l'écriture toujours économe, dont le geste fluide et l'oreille affûtée de Florent Jodelet magnifient les détails.
La formation atypique de Trance (2009) convoquant clavecin, cymbalum et percussion, nourrit l'imaginaire sonore de la compositrice : quant à la manière de traiter le clavecin d'abord, qui sonne parfois, sous les doigts de Maude Gratton, comme une fréquence électronique ou un bourdon d'insectes rappelant les textures de Ligeti. Mais c'est dans le travail rythmique et la combinaison virtuose des trois instances sonores que s'opère l'alchimie du timbre, dans un espace-temps foisonnant qui génère des matières inouïes. Dance (2006) instaure un jeu de rôles très fin entre le violon altier d'Alexandra Graffin-Stein et le vibraphone félin de Florent Jodelet : une chorégraphie de gestes dominée par les "figures ruban" du violon chères à la compositrice. Dialogue, écho, contrastes entre la matière lisse du vibraphone et le grain sombre (pizzicati) du violon... l'espace de jeu est jalonné de trouvailles, comme cette coda en sons filtrés superbement restituée par nos deux interprètes.
Seascape pour percussion et orchestre rejoint en 2016 la longue liste des concertos écrits par Edith Canat de Chizy (sept à ce jour !) et renoue avec le thème de l'eau, de la mer en l'occurrence, qu'aime traiter la compositrice. Si le soliste - Florent Jodelet depuis la création - est toujours au centre de l'orchestre avec lequel il fusionne littéralement, le piano s'adosse aux percussions, utilisé pour ses capacités résonnantes et percussives, comme cette touche bloquée dans le grave, mystérieuse et récurrente, à laquelle répond un wood-block presque "liquide" au début de la pièce. Un espace s'ouvre et s'anime progressivement : appels des cuivres (trompette bouchée), ondoiement du marimba, bruit blanc (machine à vent), frémissement/nuées des cordes, cymbale éclaboussante. On ne voit pas la mer, on la ressent, dans son énergie, sa masse bruitée et les éclats de lumière sur sa surface argentée. Le mouvement parfois se suspend, dans un climat d'attente où se concentre l'énergie avant le déferlement. Entre le soliste et l'Orchestre de Caen que dirige Vahan Mardirossian, la synergie est totale, les deux partenaires servant l'écriture virtuose de la compositrice avec un panache sidérant.
Michèle Tosi
Resmusica (nov. 2019)
La percussion comme guide privilégié dans l'univers d'Edith Canat de Chizy. Telle pourrait être l'enseigne de ce programme qui réunit quatre oeuvres très différentes (effectifs, objectifs) de la compositrice née en 1950. L'instrument aux mille visages fait l'effet d'un Goliath dans Trance face au clavecin-David dont l'audacieux combat est arbitré par un trouble cymbalum. Tout aussi séduisant que cet insolite trio, le duo Dance l'associe à un violon synonyme de fantaisie. Ici, comme dans le concerto Seascape et dans le solo Tlaloc, où la percussion du coloriste Florent Jodelet se trouve aux premières loges, pas une note qui ne soit gorgée de vie, pas un geste qui ne soit motivé par le jeu, pas une trajectoire qui ne paraisse habitée. La musique saisit et ne (se) relâche jamais.
Pierre Gervasoni
Le Monde