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un extrait
08/10/2015 - Venise - Biennale, Sala delle Colonne - Ensemble Recherche
Il y a quinze ans, j'écrivais Figures libres pour l'ensemble Recherche au complet. Cette nouvelle pièce a ceci de particulier - et c'est un souhait de l'ensemble - qu'elle ne fait pas intervenir le trio à cordes pourtant si emblématique de Recherche. Entre les deux pièces, les différences ne s'arrêtent pas là : la première est dirigée et sa forme a été en grande partie prédéterminée avant l'écriture, la seconde est une oeuvre de musique de chambre et sur le plan formel, elle a été organisée progressivement, pas à pas.
Tout semble donc séparer ces deux pièces tant les projets qui les ont fait naître sont différents. Pourtant, c'est ce contraste entre les deux propositions qui m'a poussé à reprendre des principes développés dans Figures libres, que je n' avais pas repris depuis, et que je pourrais qualifier de principes de "contamination". Des textures sonores ou des situations musicales distinctes, superposées ou juxtaposées, finissent par se contaminer au point de se ressembler et de ne constituer qu'une seule et même texture, une seule et unique structure. Dans Figures libres, c'est le trio à cordes d'un côté et les vents et le piano de l'autre qui, juxtaposés, font entendre, dès début de la pièce, des structures musicales différenciées, voire contradictoires. Ici, en l'absence des cordes, c'est le piano et la percussion d'un côté et les trois bois de l'autre, qui créent, dès les premières mesures, ces deux niveaux qui semblent n'entretenir aucun rapport entre eux mais qui, par contamination rythmique et morphologique, vont finir par se fondre en des spectres frappés et résonants avant de reprendre leur autonomie puis se reformer en groupes de deux ou trois pour se contaminer encore.
Loin d'un jeu stérile de constuction formelle, le but de ces transformations successives est, on l'aura compris, d'organiser la dramaturgie de la pièce et de varier la perception de l'auditeur.
Je revisite donc ici des principes que j'avais mis en place il y a une vingtaine d'années, alors conforté par la lecture d'un livre marquant de Claude Simon, Leçon de choses, dans lequel plusieurs récits, apparemment autonomes et hétérogènes, se contaminent par le biais des odeurs, des couleurs, de l'érotisme, de la violence... et finissent ainsi par créer une situation narrative sinon tout à fait compréhensible, du moins tout à fait homogène sur le plan de la perception.
Une fois de plus, je remarque que des principes de composition que l'on a mis en place dans le passé peuvent être mis de côté plusieurs années pour resurgir dans un contexte propice à leur épanouissement. Ici, penser à l'ensemble Recherche aura fonctionné comme la madeleine de Proust, me renvoyant à l'esprit des sensations et des pensées musicales que j'avais enfouies.
Ecrire, méticuleusement, mais en prenant du recul, peu de temps - la commande est implacable -, en estimant les possibilités qu'offrent les biffures de la veille, pas à pas, et sans se retourner plus qu'il ne faut car la fin de l'oeuvre n'est pas décidée par l'auteur mais par les autres acteurs, du graveur aux musiciens, du programmateur à l'éditeur. Cette inquiétude, Maurice Blanchot l'aura mieux exprimée dans l'Espace littéraire...
Philippe Hurel
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