Chorus fait partie d'un cycle de quatre pièces concertantes avec Phonus (2004) pour flûte et orchestre, Quelques traces dans l'air (2018) pour clarinette et orchestre et Volutes (2020), pour hautbois et orchestre.<
Ces quatre pièces ont ceci en commun que l'instrument soliste y est augmenté, réverbéré, démultiplié par les deux instruments qui sont ses semblables dans l'orchestre. Mais le type de de traitement sonore du soliste - influencé par ma pratique de l'électronique - est différent dans chacune des quatre pièces.
Dans Phonus, hommage au faune de Debussy, les deux flûtes de l'orchestre se contentent de répondre brièvement en écho au soliste ou de créer de courtes textures avec lui. Dans Quelques traces dans l'air, le rôle des deux clarinettistes de l'orchestre est beaucoup plus important. Elles ont souvent la même partie que le soliste, en canon rythmique, créant ainsi des sortes de delays électroniques. Par ailleurs, elles complètent les phrases du soliste en se mêlant à lui, donnant l'illusion d'un traitement électronique en temps réel ou bien encore elles viennent colorer en micro-intervalles ou par des modes de jeu les sons tenus qu'il produit. Mais quoi qu'il en soit, la perception des trois clarinettes est plutôt polyphonique et spatiale.
Dans Volutes, hormis la cadence dans laquelle ils sont traités polyphoniquement, en écho, le soliste et les trois hautbois sont très souvent écrits de façon homorythmique de manière à ce qu'ils fusionnent en un seul son. On se rapproche plus ici du traitement obtenu avec un harmonizer par exemple, dont on pourrait changer les paramètres très rapidement.
Avec Chorus, j’ai essayé de faire en sorte que les deux flûtistes de l’orchestre soient encore davantage connectés au soliste et en colorisent le son du début à la fin de la pièce. Dès le début de la partition, une boucle, une loop très rapide, est jouée par les trois flûtes notées à un demi-ton d’écart, créant ainsi une texture inharmonique très reconnaissable qui réapparait tout le long de la pièce. Le titre, chorus, fait à la fois référence au sens latin du mot, rassemblement pour faire quelque chose ensemble, chanter ensemble par exemple, mais aussi au solo de jazz improvisé sur les accords d’un thème, et enfin au nom d’un effet électronique de transformation du son.
Ainsi, dans cette pièce, les trois flûtes font chorus car elles jouent ensemble la plupart du temps et sonnent comme un même instrument, mais augmenté. En effet, par le jeu des intervalles qui les séparent verticalement, les deux flûtes de l’orchestre transforment le son du soliste. Celui-ci, à l’instar d’un musicien de jazz, joue de manière très rythmique un longue partition ininterrompue, excepté par de brefs tutti orchestraux qui reprennent ce qu’il a joué, le développe ou l’amplifie.
Enfin, la partition propose à l’auditeur des points de repère comme les boucles du début jouées à trois flûtes en dissonance, un chromatisme en quart de tons montant ou descendant joué par le soliste et repris en demi-tons par l’orchestre, de courtes phrases rythmiques et groovantes jouées en canon par les trois flûtes comme des delays électroniques (cf Quelques traces), une phrase pointilliste en « morse » reprise plusieurs fois par le soliste sur des hauteurs et des rythmes proches mais différents. Enfin, en plus de deux mouvements lents où le soliste déploie des modes de jeux (pizz, glissandi en trémolo, multiphoniques, souffle, etc … ), un interlude « lyrique » très différent du reste de la partition apparaît deux fois. Il met en valeur ce que la flûte a de plus idiomatique mais l’orchestration vient perturber cet aspect classique de l’écriture flûtistique.
La partition est dédié à Yubeen Kim, remarquable flûtiste de la nouvelle génération, et a été commandée et créée par ce dernier avec le par Bochumer Sumphoniker sous la direction de Tung-Chieh Chuang à Bochum les 20 et 21 avril 2024.

Philippe Hurel