Composer une pièce pour instrument seul est un véritable bonheur dès lors que l'écriture se fait en collaboration avec un musicien qu'on connaît, qu'on apprécie humainement, et avec lequel on entretient des rapports musicaux forts.
Ainsi, cette nouvelle partition, En spirale, a été composée pour mon ami Jérôme Comte qui en 2018, avait créé Quelques traces dans l'air pour clarinette et orchestre.

Pour donner à cette pièce un caractère un peu effréné, je suis paradoxalement retourné - ainsi que je le fais à intervalles réguliers - à un travail assez méthodique faisant intervenir des calculs de patterns rythmiques et de champs harmoniques.
Parallèlement, on entendra que les modes de jeux s'accumulent et désorganisent la perception des structures rythmiques qui pourrait s'avérer trop directe.
La construction de la pièce se fait par réitération et bouclage de matériaux harmonico-mélodiques et rythmiques et c'est au fur et à mesure de la composition de la première partie, très énergique et dense, que j'ai senti cette notion de spirale envahir ma façon d'organiser le discours musical.

Au même moment, j'ai pris connaissance du travail de l'ingénieur informaticien Barry W. Boehm et de sa méthode pour développer des applications complexes. Il y décrit le modèle en spirale qui, "au contraire du modèle en cascade, ne part pas du principe que les tâches du développement logiciel doivent être organisées de manière linéaire, mais de manière itérative. Les phases ne se déroulent pas de manière unique, étape par étape, mais en plusieurs fois, en suivant une spirale. À travers cette répétition cyclique, le projet avance relativement lentement vers les objectifs fixés, mais en contrepartie le risque que le processus de développement échoue est drastiquement réduit au moyen de contrôles réguliers".

Au delà de cette référence qui décrit bien le processus d'écriture de ma pièce mais qui reste une métaphore - je suis musicien avant tout -, j'ai voulu composer ici une partition qui mette le soliste en tension, non pas par simple virtuosité gratuite, mais au moyen d'une écriture ténue qui laisse peu de place à ses éventuels "atermoiements" et qui le pousse à créer une ligne formelle claire, sans ambages.

La pièce est constituée de trois parties repérables et termine sur une sorte de perpetuum qui vient contrebalancer l'aspect "éclaté" de la première partie. Cette section semble être un retour à une écriture plus habituelle de la clarinette mais elle est en réalité rapidement malmenée par la réapparition des événements du début de la partition, plus discontinus et incisifs et réellement constitutifs de la couleur générale de l'œuvre.

Philippe Hurel