Lucifer d'après Pollock

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Résumé

15/04/2000 - Paris, Maison de Radio-France - Orchestre Philharmonique de Radio-France - Emilio Pomarico (direction)

L'orchestre est considéré aujourd'hui encore, à tort me semble-t-il, comme le dispositif par excellence d'une tradition académique moribonde, tout juste bonne à créer des oeuvres monumentales, dans le style pompier des expositions officielles. Il me semble au contraire que l'orchestre symphonique se prête de manière privilégiée à des constructions de phénomènes sans précédents, comme les interférences ou les effets de profondeur. L'orchestre est le terrain d'élection d'un type de production toujours à quelque degré synthétique, c'est-à-dire inanalysable. L'écriture symphonique se prête à la possibilité de nouveaux modes de liaison, donnant naissance à des relations de constitution interne qui se réfèrent toutes au dynamisme qui les engendre.
La symphonie classique organisait le divers sans remonter à sa production. Elle combinait des structures métriques, rythmiques, harmoniques, motiviques en imposant l'unité à une matière. Elle supposait donc des formes et des catégories. L'attitude moderne renverse le sens de ce mouvement. L'orchestre se donne désormais pour la cause véritable qui engendre nos sensations. Il les "crée". Celles-ci ne correspondent plus à des objets, elles font partie d'un processus qui les produit et les dépasse. La qualité sonore y devient, comme chez Leibniz, une intégrale de petites perceptions. L'unité symphonique est aujourd'hui celle d'une puissance intérieure qui se déploie. On y parle de champs, de ramifications, de tourbillons, de textures. L'orchestre semble posséder une spontanéité lui permettant d'engendrer en lui-même une pluralité indéfinie. La "substance sonore" résultante est considérée à la fois comme une synthèse, comme une condensation de facteurs constituants et comme une virtualité de développement.
Il faut examiner, je crois, la question de ce dynamisme. Après l'ère anatomique du néoclassicisme, après l'éclatement analytique du néosérialisme, après l'hypnose de la lenteur et la viscosité de la dynamique spectrale, vient le moment d'une "physiologie expérimentale de l'orchestre". Il faut bien reconnaître que le spectralisme avait un profil encore trop hippocratique, et ressemblait à une médecine sinon contemplative, du moins peu opérative. La dynamique fonctionnelle de l'orchestre ne s'explique pas par la décomposition analytique, elle ne doit rien à la grammaire anatomique de la série ou du spectre. Les vrais rapports d'affinité et de distinction qui caractérisent l'écriture d'orchestre refusent tout modèle acoustique ou grammatical. L'orchestre est un système dynamique instable et l'écriture d'orchestre n'est pas un simple lien qui retiendrait ensemble des éléments acoustiques, morphologiques ou syntactiques assemblés tant bien que mal.
Lucifer d'après Pollock aborde le problème de la différenciation du matériau. Il s'agit d'un procédé symétrique et inverse de celui de l'intensification du matériau que l'on trouve dans la symphonie classique. Scherchen fait remonter le processus "d'intensification de la structure musicale" à Beethoven, qui renforce les caractéristiques d'ordre dynamique de l'orchestre et traite de l'accumulation de l'énergie. J'ai cherché à différencier les formes de l'énergie, sans compromettre la fluidité essentielle de la substance musicale. Le principe consiste à procéder par "écarts d'organisation", entendus comme irrégularités, infidélités, aberrations, phénomènes de distorsion et de dissidence. Je veux dire que l'orchestre a le comportement des systèmes auto-organisés et qu'il se caractérise par la constance d'une forme au sein d'un flux d'énergie. C'est la donnée primordiale. Dans cette vue, composer consiste à différencier. Ce qui importe désormais, ce sont les altérations de structure, les fonctions de résistance à l'usure, les anomalies, les évolutions imprévisibles et irréversibles, les circonstances critiques. Le Sturm und Drang avait inauguré, avec le subjectivisme, le style de la tension effervescente. L'orchestre d'aujourd'hui exprime celui de la tension désordonnée, de la distorsion et du stress. Mais il impose ses règles de cohésion interne. Scherchen fait d'ailleurs observer que l'on ne peut intervenir artificiellement dans l'économie d'un tout organique.
Le titre est emprunté à une toile de Pollock, de 1947, une huile, peinture émail et aluminium sur toile de 104,1 sur 267,9 cm. Les propriétés matérielles de la peinture sont destinées à provoquer une sensation directe, sans passer par les formes de la représentation. Les techniques employées - coulures, éclaboussures, giclures, frottements, taches, gouttes, filaments, traces de doigts - créent une matière-lumière miroitante, argentée, un enchevêtrement de tracés, un entrelacs de mauve, vert, gris plombé. A vrai dire, la couleur est indéfinissable et sa sourde violence y expose les mouvements indéchiffrables de la psyché. On y découvre la perpétuité du temps, le jaillissement du présent, l'effroi, l'état chaotique des compulsions contraires, traversé de décharges paroxystiques. Pollock nous révèle le langage de la pulsion.
Hugues Dufourt


Enregistrements :
1 CD Accord (461 947-2)
Hugues Dufourt : La Maison du Sourd - Lucifer d'après Pollock
Orchestre Philharmonique de Radio France, P.-Y. Artaud, E. Pomarico

1 CD Timpani (1C1195)
Hugues Dufourt : Lucifer d'après Pollock - Voyage par-delà les fleuves et les monts
Orchestre Philharmonique du Luxembourg
Pierre-André Valade (direction)

3.3(ca).4(Cbn) / 4.0.3.1 / perc / 16.14.12.10.8


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Détails

Référence
27119R
ISBN/ISMN
Instruments
Orchestre
Editions
Lemoine
Support
Matériel
Genre
Contemporain
ISWC
T-004.220.922.2
Durée
25'
Date de sortie
01/01/2000

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