Entretien avec le compositeur, à l'occasion de la création mondiale de sa dernière composition, Strands,
programmée pour le Festival d'Automne à Paris le 15 décembre 2024
Quelle est l’origine du projet, comment s’est-il construit ?
Il y a nécessairement un point de départ, et en même temps il y en a plusieurs qui convergent les uns avec les autres, je ne me souviens pas de tous…
Je me souviens d’un, forcément plus emblématique, qui a donné son nom à la pièce :
une exposition de Tomás Saraceno intitulée « On Air » au Palais de Tokyo en 2018, avec une salle, plus précisément la salle des araignées dans laquelle il avait cultivé des toiles d'araignées pendant plusieurs mois et qui étaient éclairées par des lumières très blanches qui faisaient ressortir tous les moindres fils.
Je pense que c'était un des points de départ.
Et en écho à cela [il y avait] cette technique issue de la musique traditionnelle tzigane qui consiste à accrocher un crin d’archet à la corde d'un violon et de jouer en pinçant ce crin avec deux doigts.
On ne l'entend pas si fréquemment que ça, mais j'ai mémoire d'un groupe qui s'appelle Taraf de Haïdouks qui utilise cette technique là.
Et je pense que ces deux points de départ se sont rassemblés.
Est-ce que le projet a évolué au cours de sa création, et si oui, comment ?
Oui, le projet a évolué au cours du temps. D’autant plus qu'il a duré deux ans dans sa fabrication.
J'ai probablement été influencé par plusieurs éléments dans le quotidien qui ont pu m'éloigner de mon point de départ et c'est tant mieux.
[le premier élément] a été le travail que j'ai pu effectuer pour le projet Memento à partir de grandes plaques tonnerre. Ainsi le métal en tant qu’élément est assez présent dans les percussions de Strands et cela a également beaucoup orienté le travail de l'électronique.
Ça a été peut-être à un moment donné, une nouvelle idée qui s’est immiscée dans mon travail.
Pourquoi mêlez-vous l’acoustique et l'électronique dans vos œuvres ?
C'est vrai que j'ai fait beaucoup de pièces mixtes
Je pense que ce qui me fascine dans la musique c'est son aspect, sa condition immatérielle.
Mais aussi cet écart entre la facture de la musique, « la chose » très concrète d’écrire de la musique, de voir des signes prendre corps sur le papier et à l’opposé, son aboutissement que sont les sons suspendus dans l’air, ces messages sonores, qui passent d'ondes en ondes de manière un peu mystérieuse, un peu magiques.
Je crois que l'électronique pour moi est un peu plus encore un supplément d'immatérialité.
Vous accordez une attention particulière au détail et à la texture, pouvez-vous expliquer pourquoi ?
Alors le détail, oui c'est une chose extrêmement importante pour moi.
J'aime la question de la minutie que l'écriture implique.
Je pourrais citer un livre de Daniel Arasse qui s'appelle précisément Le détail.
Daniel Arasse c'est un historien de la peinture et c'est vrai que la question de l'art plastique a toujours eu une part importante dans mon travail, j’ai été enseignant dans une école d'art plastique durant 10 ans…
Pour quelles raisons ? Je pense qu'il y a une concomitance assez forte entre la pratique de la musique et la pratique picturale. Bien souvent ce sont des processus de création qui se passent de mots ; la pensée s'élabore soit par images soit par sons.
On pourrait dire non pas « penser la musique » mais « penser en musique » comme on pourrait dire « penser en images ». Il y a une sorte de fraternité entre les deux manières de travailler.
Pensez-vous que la musique contemporaine souffre d'une mauvaise réputation ?
C’est bien la mauvaise réputation !
Je suis plutôt partant pour une musique qui aurait mauvaise réputation — auprès de quoi ? auprès de qui ? on pourrait se poser la question…
Précisément cette musique, comme peut-être aussi d'autres musiques expérimentales pas forcément écrites ou d'autres musiques improvisées, jazz, qui cherchent du côté de l'exploration sonore,
cette musique cherche pour moi quelque part à témoigner d'une complexité du monde, une complexité des sons qui nous entourent.
Et cette musique elle n'est pas immédiate elle n'est pas donnée, elle est complexe aussi dans son appréhension, et en cela, elle est bien à l’image de notre monde si difficile.
Donc si c'est ça la mauvaise réputation… eh bien... je prends alors !