Canons (3) - Canons (5) - Canons (7) - Canons (9) - Perspectivae Sintagma I (Canons)

Le pari des Trois canons (1989), pour piano seul, comme tout ce double album, est osé. Austère. N'est pas Webern (ou Feldman, ou Kurtag) qui veut.
Après ces sept minutes d'une musique pure, dure, limpide et cristalline, écrite à la suite d'une rencontre avec le compositeur italien Franco Donatoni, Brice Pauset nous entraîne dans l'univers moins aphoristique des Cinq canons (1990-2002, environ vingt-sept minutes). Se dévoile alors un chemin escarpé traversant des paysages radicalement différents, à l'écriture événementielle. La possible monotonie de certaines séquences met en valeur les surgissements, les ruptures, les rapports conflictuels - très schönbergiens - entre matériau et forme. Ancien élève de Gérard Grisey et d'Alain Bancquart, Pauset, féru de philosophie et de rhétorique, parle de "superposition de trois discours, avec l'ombre portée presque constante de fragments de la Missa prolationum de Johannes Ockeghem". Autant dire que les canons sont impossibles à discerner dans ce réseau. Sans renoncer, sans se laisser aller à une vague perception globalisante du matériau sonore, l'auditeur a l'intuition qu'il repose sur un sens du contraste subtilement "vectorisé". Une dialectique raffinée de personnalisation et d'indifférenciation des voix attire et déroute l'oreille.
Les Sept canons (2010, vingt minutes) et les Neuf canons (2004-2010, douze minutes) sont plus idiomatiques dans leur exploration des possibilités inhérentes au piano (recherches de nouvelles sonorités, individualisation des registres). lls réactivent avec malice "la tradition du dépassement de l'instrument inaugurée par Liszt". Mais ils n'offrent à notre avis ni la force d'impact, ni la densité combinatoire des Cinq canons.
Perspectivae Sintagma l pour piano et live électronics (1997), réalisé à l'lRCAM, risque de dater plutôt que de faire date. Destinataire sinon même inspirateur de ces oeuvres, Nicolas Hodges les maîtrise avec autant d'engagement que de virtuosité.

Patrick Szersnovicz
Diapason n°663 (déc. 2017)