Ricercar sconvolto est la deuxième oeuvre pour orgue de Philippe Boesmans - elle fut écrite en 1983, une dizaine d'années après Fanfare II. Le titre peut se traduire en français par "ricercar bouleversé ou éclaté", ce qui évoque à la fois le lien avec une tradition (le ricercar est une forme instrumentale en style imitatif, utilisée par les compositeurs de la Renaissance et de l'époque baroque) et la désagrégation de celle-ci. A cet égard, le compositeur se situe dans la continuité du geste de Fanfare II, qui visait à l'éclatement du Kyrie de la Messe de Machaut choisi pour servir de matériau à un travail sans précédent sur les timbres et les plans sonores de l'orgue. Ici toutefois, l'éclatement formel et sonore est progressif, après un début contrapuntique à trois voix.
Lors d'une interview avec Gérald Vinkenbosch (1), Philippe Boesmans décrivait ainsi le processus de sa composition : "C'est une pièce qui commence dans un style imitatif, comme un ricercar, et néoclassique à la manière d'un Hindemith, avec une ornementation toujours plus abondante à chaque entrée des voix. Cela se développe en un crescendo qui me rappelle les organistes que j'entendais à l'église dans ma jeunesse, lesquels rajoutaient toujours des jeux après avoir commencé doucement - mais à un certain moment, la pièce est bouleversée et elle s'effrite complètement pour ne plus devenir qu'une sorte d'ornement en soi, à l'exception du deuxième fragment du thème faisant lui-même figure d'ornementation baroque qui persiste en filigrane à travers toute l'oeuvre".
Longtemps demeurée à l'état de manuscrit, l'oeuvre est ici éditée pour la première fois. Le manuscrit comporte des indications dynamiques et quelques registrations qui se réfèrent à l'orgue du Chant d'Oiseau à Bruxelles où je l'avais enregistrée une première fois sur LP. Pour cette édition, les indications dynamiques ont été maintenues et complétées - les indications de jeux ont été partiellement modifiées, et elles figurent à titre indicatif, chaque interprète étant libre de les adapter en fonction de l'instrument et de ses choix personnels. Sur un orgue comportant trois claviers ou davantage, l'interprète n'hésitera pas à utiliser les différents sonores. L'oeuvre est dédiée à Ruthi Simons, qui fut le soutien indéfectible de Jérôme Lejeune dans les premières années de la firme Ricercar.
Bernard Foccroulle
(1) Cette interview figurait sur le LP paru en 1984 chez Ricercar sous le titre "Philippe Boesmans, Oeuvres de clavier" (RIC 021).
Un nouvel enregistrement par Bernard Foccroulle sur l'orgue Thomas de Wissembourg a paru chez Ricercar en 2020 sous le titre "For early instruments" (RIC 421).
