Ecrire un avant-propos à l'audition d'une oeuvre musicale m'apparaît comme de plus en plus difficile. Pour qui écrit-on ? Pour le spécialiste qui restera sur sa faim qui préfèrerait, le cas échéant, une analyse plus exhaustive ? Pour l'amateur - dans le sens étymologique du mot - ? Celui-ci est déjà animé d'une curiosité que l'on voudrait partagée par nombre de ses contemporains sans qu'il soit nécessaire de lui infliger un discours dont il ne tirera, au mieux, que quelques bribes vaguement compréhensibles du fait de l'accumulation de termes techniques. Ces deux opposés nous confrontent à une interrogation plus importante : pour qui compose-t-on ? Naturellement, ce n'est pas dans une notice de programme que je pourrais répondre à cette question. Ce qui est certain, en revanche, c'est que mon séjour à la Villa Medicis, où règne une interdisciplinarité active, m'a obligé à présenter mon travail de façon différente : chacun ayant ses mots, ses spécificités et ses technicités, il nous faut, pour communiquer, traverser, comme autant d'écrans, les articularismes afin de cerner l'essence des projets et des enjeux de chacun. Je laisserai donc de côté l'artisanat et ses méandres pour décrire certains aspects esthétique et poétiques d'une oeuvre qui sera perçue dans sa globalité par une minorité de personnes non-spécialistes. Ne dévoiler que ces dernières. C'est faire aveu de l'impuissance, du retranchement volontaire dans un terrier illusoire et fatal. Ce qui, au demeurant, ne veut pas dire qu'il faille souscrire une immédiateté, un souci de communication instantanée tout aussi absurde que le Babel d'un avant-gardisme hautain. Le "concrétinisme" est une chimère bien cruelle qu'il faut également écarter. Seuil Déployé, donc. Le titre comme à mon habitude, renferme plusieurs significations musicales et poétiques, parcours simultanés que l'on peut traverser à loisir. D'un point de vus strictement compositionnel, cette oeuvre est une réflexion sur la transition et la réminiscence : je me suis attaché d'oeuvrer dans un temps continu, non uniquement articulé par des contrastes ainsi que je le faisais auparavant. J'entends par là que chaque section est intercalée par une transition, passage entre les sections, qui devient elle-même une section à part entière : déploiement d'un seuil qui s'ouvre à son tour sur d'autres transitions qui sont réminiscences de ce qui précède ou va suivre. Ce leurre du seuil, ce lieu qui se déploie sur d'autres passages toujours renouvelés fait directement référence à cette métaphysique de l'espace chère à Yves Bonnefoy. "Dans le Leurre du Seuil", "L'Arrière Pays", "Rue Traversière" sont mes livres de chevet auxquels je retourne sans cesse et qui provoquent toujours en moi des déclics quant à mon travail compositionnel. Le titre a également une signification plus intime : des rencontres privilégiées avec d'autres pensionnaires de la Villa Medicis, peintre, écrivains, historien de l'Art, compositeur avec lesquels un espace d'amitié, de travail et d'échanges s'est crée. La pièce leur est dédiée pour les remercier de ce seuil par lequel nous sommes passés et qui nous a ouvert sur un labyrinthe d'apports mutuels ces relations laisseront en chacun de nous des traces qui marqueront irrémédiablement notre évolution future.
Seuil Déployé est une commande de l'Ensemble 2E2M et je tient à remercier Paul Méfano pour ses encouragements et sa ténacité pour une oeuvre à l'effectif déjà important et l'exécution complexe.

Frédéric Durieux

Enregistrement

1 CD Salabert Trajectoires/MFA, SCD9002, Villa Médicis 1989
Ensemble Forum de Lyon, Mark Foster (direction)